La Baie de Bastia


C

omme à de nombreux endroits en Corse c'est la mer et la montagne qui décident de l’implantation des lieux habités. C'est ainsi que Bastia, qui fut capitale au temps de la domination génoise, s’est accrochée aux pentes sur les hauteurs du Pigno, depuis le village de Cardo jusqu'à la mer avec sa « bastiglia », la citadelle des origines qui constitue la ville close.


 


Perché sur un promontoire rocheux surplombant les hauteurs de Bastia, le village de Cardo offre toutes les particularités de l'habitat rural corse traditionnel. On peut affirmer que Cardo existait déjà au moyen-âge, mais ses véritables origines se perdent dans la nuit des temps. Ancien axe romain, pivot génois, il n'en resta pas moins un village typiquement Corse, érigé en hauteur sur un contrefort rocheux. Ses habitants étaient ainsi préservés des attaques des Barbares et surtout de la malaria qui sévissait dans la plaine. Avant l'occupation de la Corse par les génois, Cardo était un gros village. À ses pieds, il y avait un petit hameau où habitaient les pêcheurs de Cardo. Ce petit port s'appelait Porto Cardo qui veut dire « le port de Cardo ».

 

Le village se développera réellement au 15e siècle et c'est de sa marine, Porto-Cardo que naîtra Bastia. Le 4 février 1839, la ville de Bastia proposera le rattachement du village à l'agglomération bastiaise. Cardo deviendra alors un quartier de la ville par ordonnance du Roi Louis - Philippe le 13 avril 1844. Aujourd'hui encore, un adjoint "spécial" représente la communauté villageoise au sein de la municipalité de Bastia.

 

Les génois ont vite senti le besoin de se mettre à l'abri des invasions qui venaient de la mer et ont commencé à construire, du temps du gouverneur Léonello Lomellini, une bastiglia (une bastille), c’est-à-dire une place forte, une citadelle.

 

Avec le temps, la bastiglia (Bastia) s'est développée, est devenue prospère et est devenue plus importante que Cardo. La ville basse, Terra-Vecchia, qui avait conquis les Génois, s’est étirée le long de la côte.

 

Ville di Pietrabugno

 

 


En 1876, un rapport du préfet de la Corse au ministre de l’Agriculture l’informe du développement d’une industrie nouvelle, inattendue dans cette île du soleil, celle de la fabrication de pains de glace ! Ce commerce du froid n’était pourtant pas une affaire bien originale puisqu’il remonte dans certaines montagnes de Méditerranée à l’Antiquité : les hautes montagnes du Liban et de la Sicile (l’Etna) ont ainsi longtemps commercé avec des contrées moins riches en eau, Malte ou l’Egypte notamment.

      

Bien avant l’invention des réfrigérateurs, l’homme s’est toujours attelé à la conservation de la glace naturelle. Les premières glacières auraient été construites par les Mésopotamiens, 2000 ans avant notre ère. Les Grecs puis les Romains vont perfectionner les techniques de stockage. Ils connaissaient les propriétés de la glace naturelle pour conserver les aliments, rafraichir les boissons mais aussi pour soigner et soulager certains maux comme les fièvres et hémorragies. Au fil du temps, la technique va s’améliorer et de vraies glacières ( e nivere ) seront construites un peu partout en Méditerranée. Leur fonction est de transformer la neige en glace.

 

En Corse, la production de neige s’est beaucoup concentrée sur les hauteurs des deux villes et ports principaux, Bastia et Ajaccio. Au nord de l’île, cette industrie fut facilitée par la proximité des côtes ligures et toscanes et de leurs principales cités (Gènes, Livourne, Pise…). Le pouvoir génois est notamment à l’origine des puits creusés sur les hauteurs de Cardo, « nivere » profondes que l’on remplissait de neige durant l’hiver et que l’on vidait peu à peu ensuite. Une concession, datant de 1635, confirme l’ancienneté de cette exploitation dont on découvre aujourd’hui les traces au bout d’un agréable chemin de maquis, parcourant les flancs de la montagne du Pigno. L’apparition des premières glacières coïncide avec l’occupation Génoise. Quand les gouverneurs Génois s’installent à Bastia, ils s’inquiètent du manque éventuel de neige pour fabriquer la glace. Ils maitrisent depuis longtemps les techniques de fabrication et de conservation. Ils ordonnent la construction de plusieurs glacières sur les hauteurs de la ville. Elles sont localisées sur les contreforts de Pignu, entre 500 et 700m d’altitude, à Cardu et à Ville di Petrabugnu. Les dernières glacières seront définitivement abandonnées en Corse à la veille de la première guerre mondiale.

          

Le principe général de ces glacières est de transformer la neige en glace en l’isolant de l’extérieur. La technique est relativement simple : on creuse un puits à neige ( 5 à 10 m de profondeur pour 4 à 8 m de diamètre ) dans un petite bâtisse aux murs en pierre très épais et qui ne possède qu’une seule ouverture orientée au nord. La construction des murs et du toit est très soignée. La neige est ramassée dans les environs puis entassée par couches ( inticiatta in fette ) dans le puits ( u fossu ). Un feu allumé en permanence à l’extérieur permet aux ouvriers de se réchauffer. Un lit de fougères ( filetta ) ou de bruyère ( scopa ) sépare chaque couche. Le neige est posée sur un plancher ( u sulaghju ) et l’eau de fusion est évacuée par un conduit percé au fond du puits ( a calanetta , a canaletta ), ce qui est indispensable pour l’obtention de la glace. La température intérieure, très froide, va transformer la neige en glace. Dans cette atmosphère, la glace pouvait sans doute se conserver 6 à 8 mois. Ensuite cette glace feuilletée était découpée, remontée des puits à l’aide de poulies puis transportée à dos de d’ânes ou de mulets. La glace était enveloppée dans des sacs de toile ( canavacciu ) ou de cuir ( e narpie, e bartule ) couverts de feuilles de fougères.

 


Situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Bastia, le site est d'une beauté douce, dormante, lumineuse, avec les montagnes qui se reflètent dans les eaux de la lagune. L’étang de Biguglia est d’origine lagunaire, c'est-à-dire séparé de la mer par un simple cordon d’alluvions marines et alimenté par les eaux douces du Bevinco et du Golo. Situé au pied du village de Furiani, au sud de Bastia, ce plan d’eau long de 12 kms, dont les fonds n’excédent pas 2 m, possède une superficie de 1790 ha. Il a été classé réserve naturelle en 1994.

C’est le paradis des oiseaux puisqu’on y retrouve 127 espèces répertoriées dont beau coup de migrateurs comme le héron, la grue cendrée et la sterne en été, le flamand rose et le canard siffleur. Les eaux saumâtres de l’étang sont poissonneuses : on y pêche l’anguille et le mulet pour ses œufs avec lesquels on fabrique la poutargue ( caviar rose ).

Le lieu conserve un charme indéniable avec les roselières qui bordent l’étang et qui sont appréciées des échassiers et autres canards. Alimenté par les ruisseaux montagnards et par la mer, l’étang accueille tous types de végétaux d’eau douce propices à l’installation des insectes, poissons et oiseaux comme les foulques, hérons ou aigrettes. Prés de 130 espèces d’oiseaux ont été observées sur l’étang qui est une étape bienvenue sur le parcours des grandes migrations. Les oiseaux s’arrêtent ici quelques heures avant de repartir vers l’Afrique ou l’Europe du nord.

 

Véritable merveille de la nature, la réserve naturelle de Biguglia se distingue enfin par une étonnante richesse floristique. On observe une grande variété d'espèces dont certaines très rares. Il ressort de l'inventaire botanique qu'une trentaine d'espèce sont rares ou très rares, dont certaines méritent une attention particulière. La reconnaissance internationale du caractère exceptionnel de l'étang, sur laquelle s'ajoute le classement en réserve naturelle, constitue une avancée considérable dans la protection d'un tel site.

 

Ces zones humides du littoral ( lagunes, marécages, embouchures de rivières ) sont souvent mal aimées de l’homme car elles sont vulnérables et fragiles car menacées par la pollution, les constructions, le drainage, le nettoyage des berges … Ce sont pourtant des milieux indispensables au maintien de la diversité et de l’équilibre naturel et qui de ce fait doivent être préservés.